La France face à sa dette !
- Gildas Lecoq
- 5 oct.
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C’est le chiffre de la semaine : la dette publique française vient d’atteindre 3 400 milliards d’euros, soit plus de 110 % de notre richesse nationale. Alors que nous célébrions hier les 80 ans de la Sécurité sociale, ce nouveau record rappelle malheureusement que la France, accablée par le poids de cette dette et par un mode de fonctionnement de l’État sans doute dépassé, ne peut plus soutenir durablement son modèle social. Ce poids impose une réflexion urgente sur la capacité du pays à concilier solidarité, efficacité et soutenabilité financière. À l’heure où la parole politique se limite trop souvent à des slogans et de fausses solutions, la récente analyse du prix Nobel d’économie Jean Tirole mérite toute notre attention. Par Gildas Lecoq

Qu’est-ce que la dette publique ?
Avant d’aller plus loin, rappelons simplement ce que recouvre exactement la notion de dette publique. Elle correspond à l’ensemble des emprunts contractés par l’État et les administrations publiques pour financer leurs dépenses lorsque les recettes fiscales sont insuffisantes. Elle comprend donc non seulement la dette de l’État central, mais aussi celle des collectivités locales, de la sécurité sociale et des autres administrations publiques. Au total, la dette de l’État représente aujourd’hui 3 416,3 milliards d’euros, soit environ 113 % du PIB. Rappelons toutefois que la part des collectivités territoriales s’élève seulement à 8 % de la dette totale, soulignant s’il le fallait encore le rôle limité des territoires dans le financement global de la dépense publique, mais surtout que cette part concerne uniquement des investissements, tandis que la dette de l’État combine investissements et fonctionnement.
“Faire payer les riches” ou relancer la dépense publique ?
Le débat public sur la dette est trop souvent hors-sol. D’un côté, certains affirment qu’il suffirait de réduire les dépenses publiques, comme si tout était gaspillage, oubliant que l’éducation, la recherche, la santé, les transports et la transition énergétique constituent des investissements d’avenir. D’un autre côté, beaucoup plaident pour “faire payer les riches” ou relancer la dépense publique, sans tenir compte du fait que, sans création de richesse, l’État-providence devient vite insoutenable. Enfin, une partie du débat se réfugie dans des mesures technocratiques, empilant taxes et normes sans vision stratégique ni évaluation. Ces postures ont toutes en commun de se battre pour se partager des voix en vue des prochaines élections, plutôt que de chercher des solutions pérennes.
Le vrai problème, souligne Jean Tirole dans La Tribune*, n’est pas forcément la dette en elle-même mais la faiblesse de notre croissance. Ainsi précise-t-il en substance : depuis des décennies, la France et l’Europe investissent trop peu dans les technologies qui feront la prospérité et l’indépendance de demain. Dans l’intelligence artificielle, les géants sont américains ou chinois. Dans les biotechnologies, les vaccins innovants et les thérapies de rupture viennent rarement de laboratoires français. Dans l’énergie décarbonée — petits réacteurs nucléaires, hydrogène vert ou batteries de nouvelle génération — notre retard se creuse alors que notre position était encore très forte il y a quelques décennies. Dans les semi-conducteurs, le quantique ou le spatial, notre dépendance à l’étranger est malheureusement aussi patente. Sans un rattrapage rapide, notre productivité restera trop faible pour soutenir notre modèle social et la dette ne sera qu’un révélateur de ce déclin.
L’épargne mal orientée et la fuite des talents
La France n’est pas un pays pauvre. Elle épargne énormément — près du double du montant de la dette — mais cette épargne est mal orientée. Elle se concentre sur le livret A, l’assurance-vie et l’immobilier résidentiel, des placements sûrs qui rassurent les ménages mais ne financent ni la recherche, ni les jeunes entreprises technologiques, ni l’industrialisation de leurs découvertes. Les start-ups françaises, pourtant capables d’innover, peinent à lever les fonds nécessaires pour tester et produire leurs innovations. Les investisseurs capables de prendre ces risques restent trop rares, limitant la capacité du pays à transformer la recherche en croissance industrielle.
À ce déficit d’innovation s’ajoute la fuite des talents. Chaque année, des milliers de diplômés des grandes écoles d’ingénieurs quittent la France pour débuter leur carrière à l’étranger. Selon le baromètre 2023 de la Fédération Syntec et Ipsos, près de 3 700 jeunes ingénieurs ont choisi l’exil, soit un sur dix. En dix ans, ce sont environ 40 000 ingénieurs qui ont quitté le pays, attirés par des environnements plus dynamiques et mieux financés. Cette fuite de cerveaux freine l’écosystème innovant, limite la création de valeur et complique la soutenabilité de notre modèle social et de notre dette.
Jean Tirole insiste sur l’importance d’investir dans l’innovation, la recherche et l’éducation pour soutenir la croissance. Il ne plaide pas pour une dépense publique accrue à tout prix, mais pour un État stratège, ambitieux, capable de fixer des priorités, de simplifier ses dispositifs et d’investir dans la recherche fondamentale et l’enseignement supérieur.
Le rôle des territoires
Face à cette dette, cette stratégie nationale doit nécessairement s’appuyer sur les territoires. Nos communes, intercommunalités et régions peuvent jouer un rôle moteur en soutenant l’innovation locale, en favorisant l’installation et le développement des start-ups industrielles, en investissant dans la formation et la fidélisation des talents, et en articulant leurs politiques avec les besoins réels des habitants et des entreprises. Si la dette des collectivités locales ne représente qu’environ 8 % du total national, leur action est essentielle pour créer des écosystèmes d’innovation durables, car la dette des collectivités est vertueuse : elle est uniquement dédiée à l’investissement.
Combiner innovation et rigueur budgétaire
La France doit collectivement aussi apprendre à s’attaquer à la maîtrise des dépenses de fonctionnement. Chaque année, à partir du mois de juin, l’État, ayant épuisé ses recettes, commence à financer ses dépenses — notamment les salaires — par l’emprunt. Une situation ubuesque ! Pourtant, l’État pourrait réaliser des économies significatives en rationalisant ses coûts administratifs, en réduisant les doublons, en simplifiant les structures et en améliorant l’efficacité des services publics, sans remettre en cause les investissements stratégiques. Jean-Louis Borloo a récemment rappelé que le coût de l’hôpital n’était pas seulement lié aux soins, mais à la manière dont l’État gère ses ressources. Il estimait que la désorganisation du pays coûtait 160 milliards d’euros, bien plus que les 40 milliards que le gouvernement cherche à économiser. Cette approche permettrait de dégager des marges de manœuvre financières pour investir davantage là où cela crée de la valeur, tout en montrant aux citoyens que l’État agit également sur ses propres dépenses, ce qui est indispensable pour crédibiliser la gestion de la dette.
En résumé, investir plus dans l’innovation, comme le souhaite Jean Tirole, et réduire intelligemment les dépenses de fonctionnement ne sont pas des contradictions : c’est la combinaison qui peut rendre le modèle social français soutenable et améliorer la compétitivité du pays.
Un défi national et territorial
Si rien ne change, le scénario est malheureusement connu : hausse des taux d’intérêt, perte de confiance des marchés et recours aux institutions internationales, conduisant à une crise de la dette aux conséquences sociales et politiques sévères. Mais la France n’est pas condamnée. Elle dispose des chercheurs, des entrepreneurs et des ressources nécessaires pour retrouver sa capacité à créer de la richesse.
Il s’agit de sortir des slogans et de faire le choix politique d’investir dans la productivité et l’innovation. Il s’agit aussi de faire de la pédagogie, d’aller sur les plateaux de télévision pour expliquer et ne pas se laisser entraîner dans des débats stériles face aux porte-paroles de formations politiques qui ne veulent que “raser gratis”, quand l’état du pays demande un peu plus d’épaisseur intellectuelle. Il s’agit enfin que l’effort soit partagé, collectif et compris par l’ensemble des concitoyens.
Le défi est donc double : national et territorial. La dette est un symptôme, mais le véritable enjeu est la transformation de notre économie et de nos territoires en moteurs d’innovation et de croissance. C’est le pari que la France doit relever : miser sur la créativité, le talent et l’action collective de ses territoires.
*La Tribune – 25 septembre 2025
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