Loi spéciale de finances : Une solution temporaire qui renforce l'inquiétude !
L’adoption d’une motion de censure du Gouvernement au début du mois a interrompu le processus législatif du projet de loi de finances pour 2025, plongeant l’État dans une situation inédite. Contrairement à ce que l’on pourrait craindre, ce contexte exceptionnel ne conduit pas directement à un « shutdown » complet, mais à un régime transitoire qui permet d’assurer malgré tout une continuité de fonctionnement des institutions et des collectivités territoriales notamment, malgré l’absence d’un budget définitif. Une solution transitoire qui n'apaise pas au contraire l'inquiétude des élus locaux. Par Gildas Lecoq
Face à l’absence de loi de finances, une loi spéciale a été promulguée le 20 décembre dernier. Elle permet notamment au Gouvernement de continuer à percevoir les impôts et de reconduire les prélèvements sur recettes. Ces dispositions assurent le financement des services publics essentiels, bien que les nouveaux engagements budgétaires soient suspendus jusqu’à l’adoption du budget 2025.
Un cadre juridique pour éviter le chaos
Ce régime transitoire repose sur le principe des « services votés », garantissant la poursuite des dépenses indispensables, comme le versement des salaires des fonctionnaires, le remboursement des dettes publiques. Cependant, cette situation limite toute action nouvelle : les dotations d’investissement national mais également local, par exemple, sont différées, et les crédits pour des politiques prioritaires restent en suspens.
De leurs côtés, les collectivités territoriales continueront de percevoir la Dotation Globale de Fonctionnement (ouf!) et autres financements déjà établis... en 2024. Ces montants seront toutefois distribués de manière mensuelle, suivant le mécanisme des "douzièmes provisoires". Les impositions directes locales, telles que la taxe foncière et la TVA, seront également versées en avance (puisque rappelons-le c’est l’État qui les collecte pour les redistribuer...), selon le même principe. Ce mécanisme transitoire permet donc d’éviter un chaos financier immédiat, mais cette situation, si elle dure trop longtemps, risque de mettre en péril de nombreux projets locaux. A cet instant j'ai une pensée forcément émue pour les élus locaux qui préparent leur budget 2025 sans savoir concrètement ce que l'État (et leurs parlementaires totalement déconnectés des réalités du terrain) leur réserve !
Des risques d’investissements gelés
Le principal impact pour les collectivités sera le risque de se retrouver dans l’incapacité de financer de nouveaux projets. Si l’Assemblée nationale ne parvient pas à adopter la loi de finances 2025, toutes les nouvelles initiatives d’investissement pourraient donc être suspendues. Ce gel concernera non seulement les grands projets d’infrastructure mais aussi les petites initiatives locales qui sont financées par des subventions d’État, telles que les dotations d’investissement (DETR, DSIL, etc.).
Les collectivités devront donc se contenter des crédits existants en 2024 pour gérer le quotidien de 2025. Alors certes elles vont échapper durant quelques mois, aux « coupes budgétaires » qui étaient prévues dans le projet de loi de finances présenté par le Gouvernement Barnier, mais d’un autre côté, toute aide de l’État aux nouvelles dépenses d’investissement seront repoussées à une date indéterminée...
Il en va ainsi pour le soutien aux projets locaux financés par les dispositifs d’aide à l’investissement, comme le Fonds vert ou le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT). Des crédits tels que le Fonds de Compensation de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (FCTVA), essentiel pour les investissements dans les collectivités, continueront à être versés mais sur les bases de 2024. Les nouvelles aides seront suspendues. En d’autres termes, les collectivités doivent composer avec une certaine inertie, risquant de freiner des initiatives pourtant nécessaires pour leurs territoires.
Un paralysant différé, mais sous contrôle
Cette situation transitoire, si elle ne provoque pas un « shutdown » à proprement parler, fragilise néanmoins la capacité des collectivités à engager de nouvelles politiques publiques. Le risque est une forme d’asphyxie budgétaire différée, où l’absence de marges de manœuvre pèse sur les projets structurants et sur la dynamique locale.
Mais comment on en est arrivé là ?
La situation actuelle est une démonstration claire de la mainmise de la Nation sur ses territoires. En effet, la dépendance croissante des collectivités locales au budget de l'État est une tendance marquante et inquiétante depuis les lois de décentralisation.
Dès 1983, avec ces réformes décentralisatrices, l'État a transféré certaines compétences aux collectivités locales, mais dans le même temps, il a maintenu une forte part de contrôle sur leurs finances.
Cette situation a fait passer la part de l'État dans le financement des budgets des communes d'environ 10-15 % en 1980 à près de 50 % aujourd'hui. A cela s’ajoute des financements étatiques régulièrement en baisse comme la dotation globale de fonctionnement (DGF) ou les compensations fiscales, leviers pourtant essentiels à la bonne gestion des collectivités. L'État en pensant faire un cadeau et relancer l'économie a supprimé la taxe d'habitation mais l'a compensé auprès des communes (enfin je simplifie car c'est évidemment pas exactement cela...) en empruntant et donc en creusant encore plus la dette...
Et donc ce phénomène a accentué la dépendance des communes aux choix budgétaires de l'État. Ce qui est d'autant plus visible et inquiétant d’ailleurs dans un contexte de crise comme celui que nous traversons, où un blocage ou une absence de budget au niveau national peut avoir des répercussions directes et immédiates sur les services locaux.
Cette "reconcentration" des finances par l'État a modifié l'équilibre avec les collectivités locales, réduisant leur autonomie budgétaire et renforçant leur dépendance vis-à-vis des décisions prises à l'échelle nationale. Bref, cette situation soulève forcément des interrogations sur l'avenir, sur la nécessité d’une véritable décentralisation et surtout la capacité des communes à rester véritablement indépendantes dans la gestion de leurs affaires. Et dire que certains considéraient la censure comme une promenade de printemps… Désolant !
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