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Repenser la décentralisation

  • Photo du rédacteur: Gildas Lecoq
    Gildas Lecoq
  • 25 oct.
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 26 oct.

Il fut un temps où la France des Collectivités avançait. Lentement, certes, mais avec l’élan des bâtisseurs. Les lois Defferre avaient ouvert la voie, les régions s’affirmaient, et les territoires pensaient, enfin, tenir la barre. Vingt ans plus tard, l’Acte II de la décentralisation instaurait la subsidiarité : en clair, laisser chaque collectivité agir là où elle est la plus compétente, et centraliser seulement quand cela est nécessaire. Les territoires croyaient, enfin, suivre le bon cap. Quarante ans plus tard, pourtant, la décentralisation ressemble à un bateau ivre, toutes voiles dehors mais sans vent : en termes de gouvernance, la France est restée en cale sèche. Il est désormais temps de repenser la décentralisation et de la mettre enfin en application. Par Gildas Lecoq


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On parle depuis quarante ans de décentralisation. Mais le mot, à force d’être répété, s’est vidé de son souffle. Il évoque des rapports de compétences, des ajustements administratifs, trop rarement une vision politique affirmée. Pire il oubli, car imaginé verticalement, nos concitoyens et leur quotidien. Et c’est peut-être là le problème : la décentralisation proposée est technocratique, elle fait peur. Elle inquiète l’État, parfois les élus eux-mêmes, comme si transférer une part du pouvoir revenait à fragmenter la République. Pourtant, le monde a changé. Les territoires, eux, bouillonnent d’énergie et d’idées quand la France, elle, se désespère.


Oui, pendant que le modèle central s’essouffle, les collectivités innovent, expérimentent, inventent des réponses concrètes aux crises sociales, écologiques ou économiques. Elles aménagent nos territoires, se préparent au réchauffement climatique, restaurent notre patrimoine, trouvent des solutions aux problèmes du quotidien. Mais elles le font trop souvent malgré l’État, non avec lui. Elles le font malgré les normes toujours plus lourdes et contraignantes. Elles le font alors que l’État continue de se désengager financièrement.


Changer de paradigme

On le constate chaque jour, nos institutions, dans ce monde en transformation, peinent à suivre et doivent chercher à s'adapter. Dans son récent rapport sur l’avenir de l’Europe, Mario Draghi décrit une Union paralysée par ses lenteurs, incapable d’agir dans un monde mouvant, inaudible même face aux autres continents. Son remède ? Un fédéralisme pragmatique, fondé sur des coalitions de volontaires : des États qui choisissent d’avancer ensemble sur des priorités communes — défense, énergie, technologie — sans attendre cette obligatoire unanimité que l’Europe s’est attachée au pied tel le boulet d’un prisonnier.


Vers un fédéralisme territorial pragmatique ?

Cette approche, profondément réaliste, pourrait inspirer la France. Il est, en effet, temps de changer de paradigme : ne plus parler seulement de décentralisation, ou de déconcentration utile, mais bien laisser ces territoires s’organiser et de, pourquoi pas, mettre en place un "fédéralisme territorial pragmatique" et non subi ou imposé par Paris ou Bruxelles. Car notre pays souffre du même mal : un système trop vertical, trop homogène, trop attaché à l’idée qu’il faut toujours tout décider d’en haut. Un système qui en guise de décentralisation a créé des mille-feuilles institutionnels technocratiques et rigides. Plutôt que de réparer un système grippé et à bout de souffle, il faut sans doute le repenser profondément car “l’encalminage de la décentralisation” pour reprendre l'expression de Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly-sur-Seine, est malheureusement durable depuis 2003.

L’État, après avoir imposé un parcours compliqué aux collectivités, a privé de « vent » la flottille des territoires, reprend inlassablement années après années, sous prétexte d’efficacité, la manne financière qui revenait aux collectivités. La suppression de la taxe d’habitation n'est qu'un exemple parmi tant d'autres.


À l’image de l’Europe, la France s’est construite sur la centralisation pour se protéger ; elle doit désormais se transformer pour agir. Non plus comme une mécanique de transferts, mais comme une dynamique d’alliances territoriales, à la manière des “coalitions” proposées par Draghi.


Le “fédéralisme” n’est pas un risque, c’est une méthode !

On ne va pas se mentir, le mot “fédéralisme” effraie en France : il évoque la dilution, la perte de souveraineté, la fin d’un modèle jacobin. Mais ce fédéralisme territorial pragmatique, à condition que l'on laisse les collectivités l'engager, n’a rien d’une utopie. Non, il doit surtout être une méthode d’efficacité publique à l’heure où l’État s’asphyxie. Il doit faire émerger une France des projets, pas des périmètres.


Pour réussir, cette méthode doit reposer sur trois principes simples : la responsabilité, la différenciation et la confiance démocratique.


La responsabilité tout d’abord. Chaque niveau de collectivité doit pouvoir agir pleinement dans son domaine de compétence, sans être paralysée par les tutelles, les normes excessives ou les doublons. Bref il faut retirer des couches inutiles au mille-feuilles. Les compétences des uns ne doivent pas empiéter sur celles des autres : chacun doit pouvoir tenir son cap efficacement.

La différenciation ensuite. Tous les territoires n’avancent pas au même rythme ni sur les mêmes sujets. Cette diversité doit être une force : elle permet à chaque collectivité de développer ses projets selon ses moyens et ses priorités, sans être freinée par une logique uniforme ou centralisatrice. C’est dans la diversité des initiatives que naît la force collective

La confiance démocratique enfin. Chaque reclarification de compétence devra s’accompagner d’un mandat clair, validé par les citoyens. Cela garantira que les actions locales sont comprises, soutenues et légitimes, tout en maintenant une coordination cohérente au niveau national. Cela permettra, enfin, de lutter contre le clientélisme électoral qui brouille la bonne lisibilité des missions des élus. La recentralisation budgétaire, le brouillard politique, la complexité administrative et la défiance institutionnelle ont vidé, en effet, la décentralisation de son sens et de son pragmatisme.


L’État, dans ce schéma nouveau, ne disparaîtra pas : il reprendra, bien au contraire, son rôle de chef d’orchestre plutôt que chef de gare. Il coordonnera, impulsera, soutiendra, mais ne contrôlera plus tout depuis Paris.


Revenir à la réalité du terrain

Dans un monde où les défis sont globaux mais les solutions locales, ce fédéralisme territorial pragmatique est sans doute une voie d’avenir. Les territoires savent mieux que personne où agir : les métropoles sur la mobilité, les régions sur l’économie, les départements sur l’action sociale, les communes sur le cadre et la qualité de vie. C’est cette intelligence du terrain qu’il faut reconnaître et institutionnaliser. Le centralisme n’est plus une garantie d’unité, mais une promesse d’inefficacité. Le vrai risque aujourd’hui n’est pas la dispersion, c’est l’immobilisme. Le seul niveau où les élus sont capables de trouver encore des compromis est la strate territoriale. L'actuel débat budgétaire nous le démontre chaque jour.


Redonner à l’État la force d’entraîner en libérant les territoires

Si la décentralisation s’est grippée, c’est parce que l’État a voulu tout concentrer, pensant que la cohésion nationale et budgétaire passait par la centralisation. En voulant tout maîtriser, il a surtout figé le mouvement. Le résultat a été une décentralisation incomplète, avec des compétences transférées sur le papier mais des territoires souvent dépourvus de réelle autonomie et de marge d’action. Plutôt que de simplifier et déconcentrer l'État a complexifié.


Cette nouvelle forme de décentralisation, ce fédéralisme territorial pragmatique ne doit pas être considérée comme une remise en cause de l’État, mais bien au contraire une manière de le réarmer. En conservant ses fonctions régaliennes — sécurité, défense, diplomatie, justice, éducation — l’État resterait garant du cadre, retrouverait un rôle stratégique clair, tout en laissant les territoires agir avec responsabilité et efficacité sur leurs projets.


C’est en s’appuyant sur cette énergie locale que la France pourra redevenir un pays agile et puissant, capable de réagir vite à ses enjeux internes et de peser avec légitimité sur la scène européenne. Une France agile et fédérée, où unité nationale et autonomie territoriale se renforcent, voilà un cap à tenir.

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