Gildas Lecoq
Non, une personnalité issue de la société civile comme 1er Ministre n’est pas une bonne idée !
Au lendemain du second tour des élections législatives, aucun vainqueur avec une majorité franche ne s’est dégagé à l’Assemblée nationale, et le coup de force médiatique du Nouveau Front populaire (NFP) à vouloir imposer un Premier ministre issu de la société civile est au mieux une fausse bonne idée au pire un danger mais surtout un constat d'échec phénoménal. Explications.
Par Gildas Lecoq
Depuis le second tour des élections législatives, les acteurs politiques et médiatiques français ont totalement perdu leurs repères ! Je le redis pour ceux qui n’auraient pas encore compris, aucun vainqueur, avec une majorité franche, n’a pu se dégager à l’Assemblée nationale, au lendemain de ce scrutin. Dès lors, le coup de force médiatique du Nouveau Front populaire, à part flatter l’ego d’élus en manque de reconnaissance, ne sert à rien, si ce n’est à déconsidérer chaque jour un peu plus la gauche française et plus généralement la politique. Non, le Nouveau Front populaire n’a pas gagné ce scrutin ni même réussi à construire une coalition parlementaire suffisamment forte pour pouvoir prétendre à Matignon.
Majorité relative contre Opposition absolue
À défaut d’avoir la majorité absolue, le futur gouvernement devra donc s’appuyer sur une majorité relative de députés issus d’une coalition ou s’étant accordés sur un programme législatif commun. Mais surtout, au regard des équilibres parlementaires actuels, il devra tout faire pour ne pas avoir, face à lui, une « opposition absolue », ce qui est essentiel pour la stabilité et l'efficacité de l'exécutif quand on n'a pas de majorité.
Une fois que ce préalable est garanti, le Président de la République pourra choisir un Premier ministre issu ou proche de ce bloc politique constitué. À ce jour, le Nouveau Front populaire n’a pas réussi à constituer ce groupe politique. D’ailleurs, si cela avait été le cas, la présidence de l’Assemblée lui serait revenue, ce qui n’est pas le cas. Dès lors, les noms proposés par les partis de gauche pour le poste de 1er Ministre n’ont pas ou peu de chance d’être retenus par le Président de la République. Les élus du NFP occupent l’espace médiatique mais pas Matignon.
Face à cette équation impossible, ces mêmes élus ont donc eu l’idée de proposer deux personnalités issues de la société civile pour occuper la fonction de 1er Ministre : Laurence Tubiana dans un premier temps puis Lucie Castets aujourd’hui. Comme le relève le sociologue Gautier Pirotte dans le journal Libération du 18 juillet dernier, « c’est un mythe de voir la société civile comme une solution à chaque crise ». Un mythe toujours parisianiste, mais aussi une erreur, et même un danger. Explications.
L'expérience compte
Déjà, soyons honnêtes, l’expérience compte en politique, et d’ailleurs le difficile exercice du pouvoir d’Emmanuel Macron, élu Président sans avoir été élu au préalable, nous le rappelle chaque jour. Le poste de Premier ministre est une fonction éminemment politique. Il se doit donc d’avoir a minima une expérience ministérielle ou du moins une solide expérience élective. Cela inclut une compréhension approfondie des mécanismes de l'État, des processus législatifs, des enjeux nationaux et internationaux. Les deux candidates proposées sont chacune, dans leur domaine, des expertes et des femmes hautement qualifiées ; personne, à part peut-être quelques élus de la France Insoumise, ne peut remettre cela en cause. Mais si le Premier ministre doit être capable de gérer efficacement les affaires publiques, il devra savoir également diriger une équipe gouvernementale complexe, qui sera de fait composée d’une majorité relative plurielle… Dans la situation politique actuelle, le Premier ministre devra donc être un excellent négociateur, capable de trouver des compromis et de rassembler des soutiens politiques au sein du gouvernement et du parlement. En cela, et même s’il n’a pas démérité et qu’il possédait une expérience ministérielle indiscutable, la nomination de Gabriel Attal interrogeait déjà à l’heure où sa majorité avait nécessairement besoin de s’élargir. La motion de censure qui pendait au nez de son gouvernement était sans aucun doute le révélateur de son manque d’expérience à aller chercher des alliances et des accords avec d’autres groupes politiques que le sien. Le futur chef du gouvernement devra donc avoir un leadership fort et une autorité respectée pour inspirer confiance et diriger efficacement.
Des élus incapables ?
Cette volonté de proposer des personnalités non élues pour diriger un gouvernement composé d’une très grande majorité d’élus et destiné à aller chercher l’approbation d’élus du Parlement est assez surprenante. C’est surtout un aveu d'échec extraordinaire, de la part des femmes et des hommes politiques du NFP, qui démontre que la coalition proposée aux législatives n’avait que pour seule ambition de faire élire des candidats mais en aucune façon de se préparer à diriger le pays. En proposant des personnalités issues de la société civile, ces élus reconnaissent clairement qu’ils ne sont pas capables pour leur part de diriger efficacement notre pays. Et cela est un vrai danger.
Le danger d'une nouvelle forme de populisme
Les Français, lors de ces derniers scrutins, ont exprimé leur colère mais également leur peur en l’avenir. Ils n’ont pas demandé à ce que des hauts fonctionnaires sans expérience élective gèrent l’exécutif gouvernemental ! Non, au contraire, ils ont demandé du pragmatisme, de l’écoute et du bon sens. Ils ont dans le même temps, au second tour des législatives, refusé clairement le populisme proposé par le Rassemblement national. Bref ils n’ont à aucun moment validé les profils de ces deux personnalités proposées. Pourtant, en favorisant l'élévation d'une figure de la société civile, le risque est d’encourager un peu plus l’émergence d’une nouvelle forme de populisme que l’on voit à l’étranger et dans nos médias. Un populisme où des candidats sans expérience politique mais charismatiques se présenteront comme des "sauveurs" contre l'establishment politique. Cela nous mènera à l'élection de leaders populistes qui privilégieront des solutions simplistes ou démagogiques à des problèmes complexes, au détriment de la stabilité politique et économique. Donald Trump n’avait jamais été élu avant de devenir le président des États-Unis que l’on connaît ! Dans ce brouillard qui masque l’horizon, la dévalorisation de l'expertise politique est un danger. Oui des acteurs de la société civile peuvent être une très bonne chose au sein d’un gouvernement, car ils apportent un regard novateur parfois, et rafraichissant, mais n’oublions pas que même si le Premier Ministre est nommé, il est toutefois plus légitime qu’il soit, a minima, un élu ou un ancien élu de la République.
Le territoire, une garantie unique
Les élus ont, en effet, une légitimité démocratique directe, obtenue par le biais des élections et donc des électeurs et pourtant celle-ci est parfois remise en cause. Une personne de la société civile, même compétente, peut être perçue comme manquant de cette légitimité, surtout si elle est nommée plutôt qu'élue. La solution pour rester connecté, nous la connaissons, elle repose notamment dans le fait d’honorer un mandat local. Je le dis et je le répète, cet attachement au territoire est la garantie d’une connexion constante avec le réel. C’est aussi, et peut-être même uniquement cela, que les Français ont exprimé le 7 juillet dernier. En tout état de cause ils ne veulent pas de ce cirque politique inutile et inquiétant...
Comments